Même si c’est quelque part une intrusion dans « la vie
privée d'une famille déjà affectée par une situation inhumaine », il me
semble, maintenant qu’elle est dans le domaine public et que de nombreux
journaux en ont publié des extraits, il me semble important, primordial, vital
de la diffuser ici.
La lettre désespérée de l'otage franco-colombienne Ingrid
Betancourt adressée à sa mère est un appel à l’urgence, un appel à la vie,
à la survie, à la liberté de tous.
Je vous invite à en lire quelques extraits. Oui, cela vous
prendra du temps. Il y a beaucoup à lire. Du temps. De votre temps. Quelques
minutes. Ingrid, elle, en est à 2119 jours…
Je vous invite également à regarder et à diffuser sur votre
propre blog ce clip de soutien.
Un geste simple pour nous bloggeurs, pour montrer notre soutien,
notre solidarité envers cet intolérable situation.
Je compte sur vous.
Elle compte sur nous.
Voici le code pour la vidéo
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/><b><a href="http://www.dailymotion.com/video/x3q6sa_mobilisonsnous-pour-ingrid-betancou_news">MOBILISONS-NOUS
POUR INGRID BETANCOURT</a></b><br /><i>envoyé
par <a href="http://www.dailymotion.com/agirpouringrid">agirpouringrid</a></i></div>
Extraits de la lettre d'Ingrid
Betancourt adressée à sa mère
"C’est un moment très dur pour moi. Ils demandent des
preuves de vie brusquement et je t’écris, mon âme tendue sur ce papier. Je vais
mal physiquement. Je ne me suis pas réalimentée, j’ai l’appétit bloqué, les
cheveux me tombent en grande quantité.
"Je n’ai envie de rien. Je crois que c’est la seule chose
de bien, je n’ai envie de rien car, ici, dans cette jungle, l’unique réponse à
tout est « non ». Il vaut mieux donc, n’avoir envie de rien pour demeurer, au
moins, libre de désirs. Cela fait 3 ans que je demande un dictionnaire
encyclopédique pour lire quelque chose, apprendre quelque chose, maintenir vive
la curiosité intellectuelle. Je continue à espérer, qu’au moins par compassion,
ils m’en procureront un, mais il vaut mieux ne pas y penser. Chaque chose est
un miracle, même t’entendre chaque matin car ma radio est très vieille et
abîmée.
"Je veux te demander, Mamita Linda, que tu dises aux
enfants qu’ils m’envoient trois messages hebdomadaires (...). Rien de
transcendant si ce n’est ce qui leur viendra à l’esprit et ce qu’ils auront
envie d’écrire (...). Je n’ai besoin de rien de plus mais j’ai besoin d’être en
contact avec eux. C’est l’unique information vitale, transcendante,
indispensable, le reste ne m’importe plus(...).
"Comme je te disais, la vie ici n’est pas la vie, c’est un
gaspillage lugubre de temps. Je vis ou survis dans un hamac tendu entre deux
piquets, recouvert d’une moustiquaire et avec une tente au dessus, qui fait
office de toit et me permet de penser que j’ai une maison. J’ai une tablette où
je mets mes affaires, c’est-à-dire mon sac à dos avec mes vêtements et la Bible
qui est mon unique luxe. Tout est prêt pour que je parte en courant. Ici rien
n’est à soi, rien ne dure, l’incertitude et la précarité sont l’unique
constante. A chaque instant, ils peuvent donner l’ordre de tout ranger [pour
partir] et chacun doit dormir dans n’importe quel renfoncement, étendu
n’importe où, comme n’importe quel animal (...).
"Mes mains suent et j’ai l’esprit embrumé, je finis par
faire les choses deux fois plus doucement qu’à la normale. Les marches sont un
calvaire car mon équipement est très lourd et je ne le supporte pas. Mais tout
est stressant, je perds mes affaires ou ils me les prennent, comme le jeans que
Mélanie m’avait offert pour Noël, que je portais quand ils m’ont prise.
L’unique chose que j’ai pu garder est la veste, cela a été une bénédiction, car
les nuits sont gelées et je n’ai eu rien de plus pour me couvrir.
"Avant, je profitais de chaque bain dans le fleuve. Comme
je suis la seule femme du groupe, je dois y aller presque totalement vêtue :
short, chemise, bottes. Avant j’aimais nager dans le fleuve mais maintenant je
n’ai même plus le souffle pour. Je suis faible, je ressemble à un chat face à
l’eau. Moi qui aimais tant l’eau, je ne me reconnais pas. (...) Mais depuis
qu’ils ont séparé les groupes, je n’ai pas eu l’intérêt ni l’énergie de faire
quoi que ce soit. Je fais un peu d’étirements car le stress me bloque le cou et
cela me fait très mal. "Avec les exercices d’étirement, le split et
autres, je parviens à détendre un peu mon cou. (...) Je fais en sorte de rester
silencieuse, je parle le moins possible pour éviter les problèmes. La présence
d’une femme au milieu de tant de prisonniers masculins qui sont dans cette
situation depuis 8 à 10 ans, est un problème (...). Lors des inspections, ils
nous privent de ce que nous chérissons le plus. Une lettre de toi qui m’était
arrivée, m’a été prise après la dernière preuve de survie, en 2003. Les dessins
d’Anastasia et Stanislas, les photos de Mélanie et Lorenzo, le scapulaire de
papa, un programme de gouvernement en 190 points, ils m’ont tout pris. Chaque
jour, il me reste moins de moi-même. Certains détails t’ont été racontés par
Pinchao. Tout est dur.
"Il est important que je dédie ces lignes à ces êtres qui
sont mon oxygène, ma vie. A ceux qui me maintiennent la tête hors de l’eau, qui
ne me laissent pas couler dans l’oubli, le néant et le désespoir. Ce sont toi,
mes enfants, Astrid et mes petits garçons, Fab [Fabrice Delloye], tante Nancy
et Juanqui [Juan Carlos, le mari d’’Ingrid]. Chaque jour, je suis en
communication avec Dieu, Jésus et la Vierge (...). Ici, tout a deux visages, la
joie vient puis la douleur. La joie est triste. L’amour apaise et ouvre de
nouvelles blessures... c’est vivre et mourir à nouveau.
"Pendant des années, je n’ai pas pu penser aux enfants, la
douleur de la mort de papa accaparait toute ma capacité de résistance. Je
pleurais en pensant à eux, je me sentais asphyxiée, sans pouvoir respirer. En
moi, je me disais : « Fab est là, il veille à tout, il ne faut pas y penser ni
même penser ». Je suis presque devenue folle avec la mort de papa. Je n’ai
jamais su comment cela s’est passé, qui était là, s’il m’a laissé un message,
une lettre, une bénédiction. Mais ce qui a soulagé mon tourment, a été de
penser qu’il est parti confiant en Dieu et que là-bas, je le retrouverai pour le
prendre dans mes bras. Je suis certaine de cela. Te sentir a été ma force. Je
n’ai pas vu de messages jusqu’à ce qu’il me mette dans le groupe de [l’otage]
Lucho, Luis Eladio Pérez, le 22 août 2003. Nous avons été de très bons amis,
nous avons été séparés en août. Mais durant ce temps, il a été mon soutien, mon
écuyer, mon frère (...).
"J’ai en mémoire l’âge de chacun de mes enfants. A chaque
anniversaire, je leur chante le « Happy Birthday ». Je demande à ce qu’ils me
laissent faire un gâteau. Mais, depuis trois ans, à chaque fois que je le
demande, la réponse est non. Ca m’est égal, s’ils amènent un biscuit ou une
soupe quelconque de riz et de haricot, ce qui est habituel, je me figure que
c’est un gâteau et je leur célèbre dans mon cœur leur anniversaire.
"A ma Melelinga [Mélanie], mon soleil de printemps, ma
princesse de la constellation du cygne, à elle que j’aime tant, je veux te dire
que je suis la maman la plus fière de cette terre (...). Et si je devais mourir
aujourd’hui, je partirais satisfaite de la vie, en remerciant Dieu pour mes
enfants. Je suis heureuse pour ton master à New York. C’est exactement ce que
je t’aurais conseillé. Mais attention, il est très important que tu fasses ton
DOCTORAT. Dans le monde actuel, même pour respirer, il faut des lettres de
soutien (...). Je ne vais pas me fatiguer à insister auprès de Loli [Lorenzo]
et Méla qu’ils n’abandonnent pas avant d’avoir leur doctorat. J’aimerais que
Méla me le promette.
"(...) Mélanie, je t’ai toujours dit que tu étais la
meilleure, bien meilleure que moi, une sorte de meilleure version de ce que
j’aurais voulu être. C’est pourquoi, avec l’expérience que j’ai accumulée dans
la vie et dans la perspective que donne le monde vu à distance, je te demande,
mon amour, que tu te prépares à arriver au sommet.
"A mon Lorenzo, mon Loli Pop, mon ange de lumière, mon roi
des eaux bleues, mon chief musician qui me chante et m’enchante, au maître de
mon coeur, je veux dire que depuis qu’il est né jusqu’à aujourd’hui, il a été
ma source de joies. Tout ce qui vient de lui est du baume pour mon coeur, tout
me réconforte, tout m’apaise, tout me donne plaisir et placidité (...). J’ai
enfin pu entendre sa voix, plusieurs fois cette année. J’en ai tremblé d’émotion.
C’est mon Loli, la voix de mon enfant, mais il y a déjà un autre homme sur
cette voix d’enfant. Un enrouement d’homme-homme, comme celle de papa (...).
L’autre jour, j’ai découpé une photo dans un journal arrivé par hasard. C’est
une propagande pour un parfum de Carolina Herrera « 212 Sexy men ». On y voit
un jeune homme et je me suis dit : mon Lorenzo doit être comme ça. Et je l’ai
gardé.
"La vie est devant eux, qu’ils cherchent à arriver le plus
haut. Etudier est grandir : non seulement par ce qu’on apprend
intellectuellement, mais aussi par l’expérience humaine, les proches qui
alimentent émotionnellement pour avoir chaque jour un plus grand contrôle sur
soi, et spirituellement pour modeler un plus grand caractère au service
d’autrui, où l’ego se réduit à sa plus minime expression et où l’on grandit en
humilité et force morale. L’un va avec l’autre. C’est cela vivre, grandir pour
servir (...).
"A mon Sébastien [fils du premier mariage de Fabrice
Delloye], mon petit prince des voyages astraux et ancestraux. J’ai tant à te
dire ! Premièrement, que je ne veux pas partir de ce monde sans qu’il n’ait la
connaissance, la certitude et la confirmation que ce ne sont pas deux, mais
trois enfants d’âme, que j’ai (...). Mais avec lui, je devrais dénouer des années
de silence qui me pèsent trop depuis la prise d’otage. J’ai décidé que ma
couleur favorite était le bleu de ses yeux (...). Si je venais à ne pas sortir
d’ici, je te l’écris pour que tu le gardes dans ton âme, mon Babon adoré, et
pour que tu comprennes ce que j’ai compris quand ton frère et ta sœur sont nés
: je t’ai toujours aimé comme le fils que tu es et que Dieu m’a donné. Le reste
n’est que formalité.
"(...) Je sais que Fab a beaucoup souffert à cause de moi.
Mais que sa souffrance soit soulagée en sachant qu’il a été la source de paix
pour moi. (...) Dis à Fab que sur lui je m’appuie, sur ses épaules je pleure,
qu’il est mon soutien pour continuer à sourire de tristesse, que son amour me
rend forte. Parce qu’il fait face aux nécessités de mes enfants, je peux cesser
de respirer sans que la vie ne me fasse tant mal. (...)
"Mamita, il y a tant de personnes que je veux remercier de
se souvenir de nous, de ne pas nous avoir abandonnés. Pendant longtemps, nous
avons été comme les lépreux qui enlaidissaient le bal. Nous, les séquestrés, ne
sommes pas un thème « politiquement correct », cela sonne mieux de dire qu’il
faut être fort face à la guérilla même s’il faut sacrifier des vies humaines.
Face à cela, le silence. Seul le temps peut ouvrir les consciences et élever
les esprits. Je pense à la grandeur des Etats-Unis, par exemple. Cette grandeur
n’est pas le fruit de la richesse en terres, matières premières, etc, mais
plutôt le fruit de la grandeur d’âme des leaders qui ont modelé la Nation.
Quand Lincoln a défendu le droit à la vie et à la liberté des esclaves noirs en
Amérique, il a aussi affronté beaucoup de Floridas et Praderas [municipalités
demandées par les FARC pour la zone démilitarisée]. Beaucoup d’intérêts
économiques et politiques considérés supérieurs à la vie et à la liberté d’une
poignée de noirs. Mais Lincoln a gagné et il reste imprimé sur le collectif de
cette nation la priorité de la vie de l’être humain sur quelque autre type
d’intérêt.
"En Colombie, nous devons encore penser à notre origine, à
qui nous sommes et où nous voulons aller. Moi, j’aspire à ce qu’un jour, nous
ayons la soif de grandeur qui fait surgir les peuples du néant pour atteindre
le soleil. Quand nous serons inconditionnels face à la défense de la vie et de
la liberté des nôtres, c’est-à-dire, quand nous serons moins individualistes et
plus solidaires, moins indifférents et plus engagés, moins intolérants et plus
compatissants. Alors, ce jour-là, nous serons la grande nation que nous voulons
tous être. Cette grandeur est là, endormie dans les cœurs. Mais les cœurs se
sont endurcis et pèsent tellement qu’ils ne nous permettent pas des sentiments
élevés.
"Mamita, hélas, ils viennent demander les lettres. Je ne
vais pas pouvoir écrire tout ce que je veux. A Piedad et à Chavez, toute, toute
mon affection et mon admiration. Je ne pourrais pas croire qu’il est possible
de se libérer un jour d’ici, si je ne connaissais pas l’histoire de la France
et de son peuple. J’ai demandé à Dieu qu’il me recouvre de la même force que celle
avec laquelle la France a su supporter l’adversité, pour me sentir plus digne
d’être comptée parmi ses enfants. J’aime la France de toute mon âme, les voix
de mon être cherchent à se nourrir des composants de son caractère national,
elle qui cherche toujours à se guider par principes et non par intérêts.
"J’aime la France avec mon cœur, car j’admire la capacité
de mobilisation d’un peuple qui, comme disait Camus, sait que vivre c’est
s’engager. (...) Toutes ces années ont été terribles mais je ne crois pas que
je pourrais être encore vivante sans l’engagement qu’ils nous ont apporté à
nous tous qui ici vivons comme des morts. "(...) Je sais que ce que nous
vivons est plein d’inconnues, mais l’histoire a ses temps propres de maturation
et le président Sarkozy est sur le Méridien de l’Histoire. Avec le président
Chavez, le président Bush et la solidarité de tout le continent, nous pourrions
assister à un miracle.
"Durant plusieurs années, j’ai pensé que tant que j’étais
vivante, tant que je continuais à respirer, je devrais continuer à héberger
l’espoir. Je n’ai plus les mêmes forces, cela m’est très difficile de continuer
à croire, mais je voudrais qu’ils ressentent que ce qu’ils ont fait pour nous,
fait la différence. Nous nous sommes sentis des êtres humains (...).
"Mamita, j’aurais plus de choses à dire. T’expliquer que
cela fait longtemps que je n’ai pas de nouvelles de Clara et de son bébé (...).
Bon, Mamita, que Dieu nous vienne en aide, nous guide, nous donne la patience
et nous recouvre. Pour toujours et à jamais."
Agissez en signant la pétition pour la liberté des otages.