Après le boulot, je file au petit Casino. Un petit truc à acheter pour mettre sous l'oreiller + deux trois bricoles. Le "petit Casino", c'est le rendez-vous à la fois des petites courses et des petits vieux.
3 caisses ouvertes sur 15, des caissières qui ressemblent à rien d'humainement existant (...), des choix limités et des prix illimités. C'est la règle des petites supérettes.
Je fais la queue.
J'entends grogner. Derrière moi un couple physiquement aviné en train de pousser un Caddie rempli de papier toilette, d'une boîte d'oeufs, d'un paquet de spaghettis et de 5 bouteilles de whisky. La femme plus mâle qu'un homme : un cube aux cheveux courts et la voix rauque. L'homme allongé, les mains toute sèches, le visage abîmé. Je passe le regard.
Je fais la queue.
J'entends se fâcher. Une petite fille court vers ma direction. Leur fille. Les cheveux courts, taillés à la hache, dans tous les sens. Le visage qui mériterait bien un bon coup de lotion. Elle sourit, elle remue un peu. Elle doit avoir 6-7 ans. Normal. Je me force à tourner la tête.
Je fais la queue.
J'entends gueuler. "Arrête don'c", "bouge pas", "tu vas voir ce que tu vas voir". Et que je t'attrape par le bras, et que je fais des gestes de la main comme si j'allais frapper... Le ton monte. Mes yeux n'arrivent pas à décoller. Le regard du père va croiser le mien, c'est sûr. Ca va le calmer ? Ca va encore plus l'énerver ? Questions. Je me dis que si les parents vont trop loin, c'est moi qui ouvre ma gueule. Je m'imagine sur mon cheval blanc, devant l'embarras des autres clients, devant l'énervement des saoulots.
Je n'arrive pas à décoller. Mes yeux passent d'un visage à un autre. La mère virile, le père tremblant, la gamine barbouillée.
C'est mon tour.
Bip. Bip. Bip.
"7 euros et 3 centimes".
Ca gueule.
Je paie.
Ca gueule.
Je regarde. Je fixe.
Je ramasse mes courses du tapis roulant.
Le tapis roulant.
Il avance. Next. Au suivant !
Je m'éloigne.
Mes talons résonnent.
Mes yeux voient le ciel.
Et derrière moi, le tapis roulant s'arrête.
Au suivant !