Je le regarde dans la glace. Mes mots ont l'air de l'avoir surpris. Il m'interroge.
- Mais que veux-tu que je lui dise ?
- Ben je ne sais pas, tout et rien, juste des choses de la vie.
- ... mais quoi ?...
- Y'a toujours un truc à dire, non ? On parle des gamins, l'inscription à faire, le petit mot drôle sorti le matin, on parle du polar que l'on est en train de lire, des idées déco que l'on a pour la maison, de la conversation que l'on a eu avec madame Michu, de l'actualité, du boulot... Toussa quoi...
- Mais non, nous, ca marche pas comme ça. Il n'aime pas lire, à la télé, on n'aime pas les mêmes trucs... et puis, on peut rien lui dire. Et puis j'ai rien à lui dire... On n'a rien à se dire...
- Tu penses le quitter ?
- Oui... j'y pense. de plus en plus. Mais il y a le p'tit... Il m'oubliera vite parce que c'est certain au bout d'un moment, il va me remplacer.
Ses s'embrument, il me prévient.
- On arrête d'en parler parce que là...
J'aurais envie de lui dire plein de choses. Des choses bateau du style on ne reste pas pour les enfants, des choses que l'on entend trop, qui semblent trop faciles et trop évidentes pour être faciles et évidentes. J'aurais envie de lui dire que c'est peut-être une "mauvaise passe", que ca va s'arranger. Mais je ne peux pas. Pas parce que nous sommes sur son lieu de travail et que ce n'est pas le moment (c'est quand le moment ?), mais tout simplement parce que je n'en sais rien, je n'ai pas la clé. Je ne peux pas avoir les bons mots en balançant des phrases qui ressemblent à de faux conseils. Ca ne fonctionne pas comme ça. Je ne connais pas sa vie intime, je ne connais pas son ami, la relation qu'il a avec lui. Je ne peux que l'écouter, être là si besoin mais dire plus, j'en sais rien. Il en sait plus que moi. Peut-être que si nous étions plus proches, je pourrais aller plus loin. Peut-être pas... En y réflechissant, je me rends compte que c'est justement souvent le contraire. Plus on est proche, moins on se dit les choses. On se dit DES choses, mais on tait LES choses. C'est peut-être ça le truc. Et à force de se dire DES choses sans se dire LES choses et ben on ne se dit plus rien. Ca s'altère, ça se décompose. Jusqu'au silence.