Les rues de
Pigalle grouillaient de bestioles humaines. Pigalle n’est pas un quartier comme
un autre. Pigalle a une odeur bien à elle, une odeur âcre et rouge. Se
balader dans ses rues fait monter automatiquement l’adrénaline dans les
veines. Les gens paraissent d’un autre monde, un monde où rien n’est important,
un monde où tout est important. Pigalle, c’est le quartier-paradoxe et j’aimais
ça. Cette nonchalance plombante et cette épaisseur frivole.
On était
arrivés. On avait trouvé l’adresse au hasard dans le Pariscope ; le bon
truc à pauvres touristes. Remarque, on n’en était pas loin, nous, les
banlieusards.
Petite porte.
Petite lucarne. Petit bonhomme. Petites lunettes. Petit sourire. Gros billets.
Petites affiches. Gros seins. Le décor était planté.
On entre.
« Au
bout du couloir à droite. Installez-vous où vous voulez. »
La salle
ronde est miniature. Comme une blague. Une scène de poupée Barbie. Trois hommes
sont déjà là. Espacés. Quand je rentre, ils me regardent tous d’un air étrange,
presque étonné, comme si la présence d’une femme en ces lieux n’était pas
habituelle.
Je ne savais
pas trop où m’asseoir. Aucun fauteuil ne me disait. Trop proche de l’un, trop
proche de l’autre, trop feutré, trop sale, trop tâché, trop désossé. Obligée de
choisir le moins pire comme on dit. Guil à ma gauche.
On attendait.
J’attendais que ça commence, j’attendais de voir ses corps se livrer aux yeux
des autres, de nous. J’attendais une sorte d’initiation. Guil se moquait
gentiment de moi.
Noir.
Silence.
Musique.
Lumières
blanches.
Ca commence.
Une femme
arrive se trémoussant aussi gracieusement qu’un escargot en plein soleil.
Étonnement.
Je
m’attendais à des corps lisses, doux, soyeux, aux formes parfaites, à ces corps
que l’on voit dans les magazines, ceux qui vendent les femmes.
J’avais
devant moi une fille maigre, squelettique qui se masturbait tant bien que mal
avec ses os et son reste de chair, sur une musique bas de gamme. Des cheveux ennuyeux,
un visage terreux, des gestes saccadés, un regard incolore. Elle aurait fait la
vaisselle, elle aurait eu l’air plus enjoué. On était loin de mon imaginaire.
Coupure
musicale.
Lancement de
la deuxième.
On se
croirait à la MJC d’Arcueil. Larsen.
Une autre
femme arrive. Celle-ci est plus ronde, beaucoup plus ronde. Des seins énormes, et
le cul pareil. Après le fantasme de la branlette au féminin, voilà le fantasme
des gros nibards et du couple lesbien.
Et ca à l’air
de faire son (petit ?) effet, j’entends les bruits de boucle de ceinture
et de braguette. Je me dis alors que les hommes d’à-côté doivent porter des
pantalons en toile ou en velours ou en je-ne-sais-pas-quoi, mais pas un jeans,
ou alors un jeans moche, le jeans Pantashop, trop clair, trop étroit et trop
court, le jeans sans ceinture qui monte trop haut à la taille. Le bon jeans, le
beau jeans, lui, a des boutons, pas une braguette. Je me dis que la braguette
fait ringard. Dans ma tête défilent les hommes que j’ai déshabillés et c’est
avec soulagement que je m’aperçois que je n’ai jamais déshabillé de braguette.
Les deux
femmes enchaînent leurs gestes d’une manière répétitive, mécanique, industrielle.
C’est l’usine, tout à la chaîne ! Et je te mets un doigt, et je t’en mets
deux, et tu ouvres la bouche et tu fais han-han, et je te regarde l’air de dire
tu vas voir ce que tu vas voir, et je te bouffe, mais pas de trop près, juste
du bout de la langue, sinon les autres débiles, ils peuvent pas voir.
Risible.
Troisième
musique.
La maigre
sort. La grosse reste. Le noir arrive. Ah, le fantasme de la grosse queue !
Le black prend la grosse. Ca jouit avec des voix de dessin animé. Contraste
entre image obscène et intonation puérile.
C’est alors
que le regard de la femme croise le mien. Elle sourit, étonnée, et se dirige
vers moi. Là voilà, plantée entre mes genoux et le fauteuil de devant. Le black
à côté, sur sa gauche, sur ma droite. Elle me lance un regard de défi.
« La petite jeune ira-t-elle jusqu’au bout ? » Faut pas me
lancer des défis. J’y vais toujours, même si c’est con ou dangereux. Je
m’avance un peu et pose mes mains sur elle. Mes doigts paraissent tout petits.
Je n’ai encore jamais touché de seins aussi volumineux et j’aime tout de suite
cette sensation de matelas confortable, de pâte à pétrir.
Le black,
lui, est un robot rouillé, accessoirisé d’une simple capote. Je me fais la
réflexion qu’un préservatif est plus voyant sur une queue noire que sur une
queue blanche, enfin rose. Là, on voit bien le petit bourrelet au relief beigeasse. C’est pas joli.
Je me demande
comment il arrive à bander, comment, dans cette atmosphère sordide, devant ces
hommes aux têtes de psychopathes refoulés, comment son sexe arrive à se dresser.
Je me dis qu’il a du prendre quelque chose pour, et ses yeux jaunes ne
démentent pas mon impression.
Je continue à
palper les gros nichons. En fait, il n’y a qu’eux qui offrent de l’intérêt. Et
encore, ils ne sont pas beaux. Juste gros. Mais c’est déjà ça. Dans ce genre
d’endroit, faut pas être exigeant. Faut juste se satisfaire du « c’est
déjà ça ».
La musique s’arrête.
La femme m’embrasse et sa langue a mauvais goût. Le black remballe et ils
regagnent tous les deux ce que l’on devrait appeler les coulisses et qui n’est
ici qu’un débarras encombré de fils électriques.
Guillaume me
regarde.
On rentre à
l’hôtel.
On se couche.
Guil d’un côté du lit, moi à l’autre bout.
Ces images de
sexe de bas étage pourrissent ma tête. Mais je ne suis même pas étonnée. Ca
reste dans la lignée de ce que je connais déjà, malgré mes 17 ans, malgré Tout.
Et ce sont les joues salées et le corps recroquevillé que j’arrive enfin à
trouver le sommeil et à m’échapper.
Jusqu’à
demain.